LES PROJECTIONS CARTOGRAPHIQUES

par Gilles Dawidowicz

 

Les cartographes ont depuis longtemps été confrontés à un problème majeur dans l'élaboration de leurs cartes - figuration conventionnelle, sur un plan, de la répartition de phénomènes géographiques, géologiques ou autres - : celui de représenter le mieux possible leurs observations terrestres.

1) Une carte circulaire.

La Terre est un solide sphéroïde, c'est-à-dire dont la forme approche plus ou moins la sphère, elle-même solide limité par une surface fermée dont tous les points sont à la même distance (rayon) d'un point intérieur appelé "centre".

Par convention, l'ensemble de la communauté scientifique, et donc les cartographes, considère la planète Terre comme une sphère parfaite pour la représentation de celle-ci.

Il faut donc, représenter en deux dimensions, ce qui existe en trois dimensions, et cela en convertissant un certain nombre de données.

Mais il faut bien admettre aussi, que le résultat du travail du cartographe est d'un intérêt stratégique, et donc varie en fonction du but recherché. Cette situation "politique" à fait naître une spécialisation en Géographie que l'on nomme la Géopolitique, et qui est en fait un combinat de l'étude des rapports entre diverses données (naturelles par exemple) et la politique des Etats et l'étude de l'influence des données fournies par la géographie sur la stratégie des Etats. Cette discipline se basant ainsi essentiellement sur la cartographie des données utilisées se veut donc thématique.

Pour refléter le mieux possible des réalités multiformes, complexes et parfois impossibles à représenter les cartographes ont cherché à être aussi globaux que possible.

Toute représentation sur une surface bi-dimensionnelle de la Terre, s'obtient par une projection, opération cartographique permettant de représenter l'ellipsoïde terrestre sur une surface plane, dite plan de projection, suivant certaines règles géométriques. Or, c'est de cette projection que dépend l'ensemble de la carte.

2) Des projections coupables.

Le fait de projeter une chose courbe sur un plan, entraîne des déformations. Aucune représentation en plan n'est donc conforme à la réalité.

Ainsi, il existe 2 types de déformations :

* celle des longueurs, qui entraine une variation de l'échelle de la carte d'un point à un autre

* celle des angles, le passage de la sphère au plan entraînant une déformation des angles, des formes, des surfaces et des directions

Il existe 4 principaux modèles de projections :

* les projections coniques

* les projections cylindriques

* les projections azimutales

* les projections elliptiques

S' ajoutent à ces 4 modèles, 3 types de projections par modèles : les projections conformes, les projections équivalentes, et les projections aphylactiques ; les premières respectant et conservant les angles entre les méridiens et les parallèles, l'échelle étant la même dans deux directions perpendiculaires à partir d'un point, mais en déformant les surfaces, les secondes conservant les rapports de surfaces tout en déformant celles-ci, mais ne conservant pas les angles, et les troisièmes ne conservant ni les angles, ni les surfaces.

On rencontre cependant de nombreuses autres projections toutes plus différentes et originales les unes que les autres.

Ainsi:

* les projections zénithales
* les projections polaires
* les projections équatoriales
* les projections obliques
* les projections tronconiques
* les projections polyconiques
* les projections homolosines
* les projections gnomoniques (ou centrales)
* les projections transverses (ou méridiennes)
* les projections stéréographiques
* les projections orthographiques
* les projections homalographiques
* les projections tétraédriques

De plus, plusieurs cartographes ou mathématiciens ont inventé des projections cartographiques spéciales, combinant le plus souvent plusieurs projections déjà existantes, et portant leur nom.

C'est le cas de :

* Aïtoff
* Gall
* Babinet
* Goode
* Bartholomew
* Gougenheim
* Bonne
* Grégory
* Brisemeister
* Lambert
* Cassini
* Mercator
* Delisle
* Miller
* Eckert
* Mollweide
* Peirce
* Peters
* Postel (Guillaume)
* Raisz
* Sanson-Flamsteed
* Van den Griten
* Werner
* Winkel

Figure n°1


Le Monde vu d'Hawaï

Figure n°2
Figure n°3



Figure n°4

Extrait de l'Atlas 2000 (Nathan).

Figure n°5

Extrait de l'Atlas 2000 (Nathan).

3) Quelques planisphères "classiques".

La première étape vers la réduction maximale des déformations, c'est d'abord une recherche de la meilleure définition géométrique du canevas de projection. Les travaux orientés dans cette voie se sont multipliés depuis que Tissot a donné une théorie définitive des altérations. Nous avons reproduit ici, quelques exemples de planisphères classiques centrés sur l'équateur, en figurant les régions les moins altérées. Mais une autre méthode, consiste à changer de pôles, c'est-à-dire à placer le centre de la carte au point qui présente le maximum d'intérêt. Non seulement le minimum de déformations coïncide ainsi avec la région principale, mais, en même temps, on obtient autour du point central des qualités d'isotropie.

A titre de référence, voici le canevas de Mercator, le seul à réseau rectiligne orthogonal qui conserve les angles ; mais comme les longitudes sont dilatées, il est nécessaire d'amplifier les latitudes dans des proportions identiques. Les latitudes augmentant, espacent de plus en plus les parallèles, et les régions les plus éloignées de l'équateur sont exagérées de façon inadmissible ; le pôle étant lui-même rejeté à l'infini. La zone de moindre déformation est étroite. C'est de la projection de Mercator que dérivent toutes les autres projections conformes.

Figure n°6

Miller a réalisé une modification du canevas rectiligne orthogonal qui ne va pas jusqu'à la compression exagérée des hautes latitudes nécessitée par l'équivalence. Mais il faut sacrifier la conformité. Et donc, la projection présente à la fois des déformations d'angle et de surface dès que l'on s'éloigne de l'équateur. Il ne faut pas se laisser tromper par la perpendicularité de chaque méridien à chaque parallèle qui est un cas singulier. La zone "acceptable" est cependant plus large que dans Mercator, mais aussi mal centrée.

Figure n°7

Puisque historiquement nos visions sont eurocentriques, nos cartes en sont le reflets. Ainsi, la région la plus intéressante pour nous est située autour du méridien de Greenwich. Il suffit donc dans un canevas centré, d'essayer d'y étaler la zone de moindres déformations. Plusieurs s'y sont efforcés, mais Van den Grinten y est parvenu au moyen d'une définition géométrique empirique, mais simple, dans laquelle les méridiens divisent de manière égale l'équateur et se rejoignent aux pôles et dans laquelle les parallèles sont des courbes transcendantes définies par points.

L'ensemble s'inscrirait dans un cercle, mais on ne conserve que la partie centrale que l'on coupe souvent par deux lignes droites parallèles à l'équateur. Utilisée dans de nombreux atlas, cette projection semble appréciée du public, qui n'est pas dérouté par des changements d'orientation excessifs, des déformations difficiles à assimiler.

Figure n°8

Représenter "correctement" l'ensemble du monde émergé, n'est possible qu'en déformant considérablement les parties marginales. Ainsi, une solution consiste à reporter volontairement les erreurs dans les océans : c'est le principe des projections interrompues et recentrées. L'équateur rectiligne marque seul la continuité, avec ou sans rupture de l'Atlantique. Sur lui s'appuient plusieurs fragments d'un même canevas dont on reconnaît l'origine à l'incidence du méridien rectiligne orthogonal. On emploie souvent les systèmes équivalents (conservant les surfaces), tel que celui de Mollweide-Babinet ou de Sanson-Flamsted. C'est ce dernier qui apparaît ici dans la projection dite homolosine de Goode : la couverture des terres est remarquable malgré la disparition de l'Atlantique.

Figure n°9

Un des exemples les plus surprenant de projection polaire, utilise le vieux système azimutal équidistant. En effet, le centre de la carte est à Shenectady, centre radiophonique et radiotélégraphique près de New-York. Or autour de ce point, les angles et les distances jusqu'à n'importe quelle autre partie du globe peuvent être mesurées directement, sans calcul. Mais les déformations seraient inadmissibles à partir d'un autre point. Il a donc été nécessaire de dresser une carte pour chaque cas particulier, et ce gros travail a dû être mené à bien pour chaque émetteur de radiophonie. Les calculs, qui font intervenir la trigonométrie sphérique sont assez complexes.

Figure n°10

Les canevas classiques prennent toute leur valeur quand ils sont décalés sur la sphère ou l'ellipsoïde vers le pôle Nord.

La projection homalographique de Mollweide-Babinet offre en particulier l'avantage d'être équivalente, mais, équatoriale, elle ne rend pas compte des régions polaires. Pour figurer les communications d'avant la Seconde Guerre Mondiale, Bartholomew a calculé ce système qu'il nomme Atlantis, puisqu'il le centre sur le point 45° de latitude Nord, 30° de longitude Ouest. Les relations Europe et Asie étaient mieux définies, et l'on voyait l'intérêt des routes transpolaires, sans trop déplacer les positions de l'Afrique et de l'Amérique.

Figure n°11

Aïtoff avait adapté le canevas de Lambert, de manière à l'inscrire dans une ellipse ; il suffisait de réduire de moitié toutes les coordonnée en Y. Il en résultait une projection équivalente, un peu meilleure que la classique Mollweide, aussi mal centrée. Mais celle représentée ici est une variante oblique, où le pôle Nord apparaît bien, où la Méditerranée se présente au centre de la carte, mais dans laquelle, pour éviter les bords trop distendus, on doit couper une partie de l'Amérique du Sud et de l'Australie.

Figure n°12

Plus récemment, une Organisation Non Gouvernementale, pour une campagne mondiale contre la famine, a organisé un véritable appel d'offre pour la conception d'une nouvelle projection répondant à un cahier des charges simple et très révélateur : le lecteur devant voir une Afrique et une Asie beaucoup plus "maigres" que les pays occidentaux. Il en résultat la très célèbre projection de Peters, projection équivalente avec deux parallèles fondamentaux : 45° de Latitude Nord et Sud, qui effectivement étire considérablement les surfaces tout en conservant leur rapport mais pas leurs angles.

Figure n°13

Le canevas de Peters, présente conformément aux souhaits de l' O.N.G., un tiers monde famélique.

 

4) Quelques planisphères originaux.

Lorsque le champ d'observation porte sur l'ensemble du globe, le choix de la projection devient essentiel si l'on veut représenter tout le globe en une seule image. Les programmes de cartes régionales, devant couvrir le monde entier à la même échelle, ne sont jamais des planisphères, et les cartes ne sont assemblables que pour des surfaces réduites.

Les planisphères équatoriaux.

* 1 - Projection cylindrique équivalente de Mollweide. On notera la déformation inadmissible des longueurs du Pôle Sud.

* 2 - Projection cylindrique de Gall. On notera que le Pôle Sud est déformé dans ses surfaces malgré la tentative de leur conservation en le divisant en trois, et l'on notera aussi la double présence du continent Américain s'expliquant par la volonté de fermer les océans.

* 3 - Projection IV d'Eckert.

* 4 - Projection équivalente conique de Sanson-Flamsteed.

* 5 - Projection conforme de Gougenheim. Noter la disproportion de surface du continent Antarctique par rapport au reste du monde conservé lui de manière satisfaisante.

* 6 - Projection compensée de Guillaume Postel.

* 7 - Projection en écorce d'orange de E. Raisz fait s'interrompre la continuité de l'océan Pacifique et introduit la notion de volume.

* 8 - Projection en écorce d'orange étendue et donnant un océan Pacifique fermé mais deux Détroits de Béring !

* 9 - Projection équivalente discontinue de Goode s'obtient par juxtaposition de secteurs de la projection de Mollweide. Noter les positions du Groenland...

Les planisphères polaires et étoilés.

* 10 - Projection équidistante circulaire "polaire" faisant apparaître un cercle extérieur correspondant au... Pôle Sud !

* 11 - Projection étoilée à 4 branches faisant apparaître un Pôle Sud éclaté et une majorité des déformations absorbée par les océans.

* 12 - Projection étoilée à 5 branches.

* 13 - Projection étoilée à 8 branches coupant en deux l'Australie.

Les planisphères obliques.

Rappelons d'abord la projection équivalente de BRISEMEISTER.

* 14 - Projection compensée de Guillaume POSTEL. C'est la projection n°6 (Postel) mais axée sur l'Océan Pacifique. On remarque, que l'Afrique est éclatée en 2 parties.

* 15 - Projection "Atlantis", équivalente de Mollweide, dont le grand axe correspond au méridien 30° W.

* 16 - Projection à compensation régionale dans laquelle la compensation n'est plus homogène mais recherchée dans une plus grande déformation des océans, au bénéfice d'une moindre déformation des continents.

* 17 - Projection équidistante circulaire centrée sur Khartoum; c'est la projection n°10 centrée de manière à regrouper l'ensemble des continents, y compris le pôle Sud, dans la zone de moindre déformation.

* 18 - Projection à compensation régionale fendue par juxtaposition d'azimutales.

Le principe de la compensation régionale permet de proposer ce planisphère dans lequel la quasi totalité des déformations se trouve reportée dans les océans.

C'est une juxtaposition de projections azimutales compensées, une par grande masse continentale, (à l'exclusion du pôle Sud) et chaque continent peut être considéré à peu de choses près comme équivalent et conforme.

* 19 - Projection à compensation régionale de Brisemeister.

Les planisphère azimutaux.

* 20 - Projection azimutale de Werner centrée sur le pôle Nord et ouvrant en deux le Pacifique.

* 21 - Projection azimutale circulaire polaire.

 

5) Réalisation: quelques conseils.

Si d'aventure, il vous est nécessaire de réaliser une carte à la projection particulière, sachez qu'il est plus difficile d'en maîtriser la précision que la conception. Un peu de triangulation et de géométrie vous aideront à transformer votre sphère en portion de plan. La première partie, de loin la plus difficile, est la réalisation du tramage découpant la région à l'aide de parallèles, cercles concentriques, divisant le méridien origine, rectiligne, en portions égales. La construction est dès lors très simple : puisque les parallèles et le méridien central sont tracés, on n'a aucun mal à inscrire sur ces parallèles des intervalles égaux et correspondants à ce qu'ils sont véritablement sur la sphère. Il suffit alors de tracer les méridiens en continuité, voire de tracer les tangentes à ces courbes pour plus de précision. Enfin, vous pouvez cartographier.

 

Les déformations selon le type de projection

 

 

Nous sommes alors plus à même de mieux apprécier les véritables implications du choix de la projection en cartographie.

Celui-ci se fait de plus en plus non pas en fonction de ce que l'on veut représenter ou du type d'informations à représenter cartographiquement, mais en fonction du message à faire passer au lecteur de la carte, en fonction de l'objectif psychologique à faire atteindre au travers de la carte. Les cartes géopolitiques et géostratégiques en sont le meilleurs exemples ; L'U.S. Air Force a même développé des concepts nouveaux pour mieux appréhender les conflits aériens au niveau global.

Sources et orientation bibliographique.

- Atlas stratégique, G. Chaliand, Paris 1984.
- Atlas 2000, la France et le Monde, Nathan, Paris 1992.
- Sémiologie Graphique, Bertin, Mouton-Gauthier, Bordas, Paris 1973.
- Atlas géopolitique, A. de Marenches, Stock, Paris 1988.
- Cartes et figures de la terre, Paris, Centre Pompidou, 1980.
- Flattening the Earth, JP Snyder, Chicago Press, 1994.